Dans l'Hôtel de l'Univers, la vie est un putain de chantier !

  travaux en cours

1 - Je lis le livre d'Hedi Cherchour et je livre mes impressions sur son écriture, son style, ses moments rapides visionnés à la loupe.

Hedi Cherchour aime ramasser les phrases en quelques mots. Il y a d'un coup comme une explication, une lumière, une approbation à tout ce qui vient d'être écrit, à toutes les actions dites. C'est cela qui embrasse la phrase, la revisite, l'explique, mais cette explication nous ne l'attendons pas bien souvent. Elle monte seule dans notre regard et raconte cet intérêt qu'on pouvait avoir pour telle action. C'est comme une signature, celle de l'enfant bien souvent. Mais cette signature nous surprend nous lecteurs, elle nous intrigue au fur et à mesure des pages, nous fait finalement douter à cause justement qu'on interprétait différemment, ou que le petit personnage, cet enfant, voyait les choses autrement depuis son (ses) intérieur(s). Et on découvre ça en fin de phrase, sur quelques mots, trois fois rien. Le regard de l'enfant, sa pensée qui retourne tout.

Ce regard d'enfant (Farida) se maintient même à l'âge adulte.

Un Enfant myope mais qui voit l'immédiat des choses.

Son corps grandit mais son regard est toujours autant fulgurant. Il nous dépasse d'une tête dans le texte. Sa parole parle des langues, du problème des mots, les nouveaux mots du père. Elle nous parle des langues, celle que la mère ne peut comprendre, puisqu'exilée dans sa langue sienne au fond de sa cuisine et celle que ce père remâche obsessionnellent en roulant vers ses chantiers. Un moment, Farida écrit même : L'exil est un charabia.

 

Farida c'est un regard qui fouette le réel d'une situation, ses yeux tout ronds qui grossissent l'instant, ce qui fait qu'il y a parfois des effets de loupe, des ralentissements dans les actions qui tendraient à accélérer le train de la fiction. ("C’est vrai que quand j’écris, je tire une balle, au début la balle va vite et ensuite elle ralentie et on peut voir à travers son ralenti les dégâts stratosphériques. " Hedi Cherchour)

Peu importe qu'on ait vécu ou pas des situations similaires au final, ce qui importe, il me semble, c'est qu'on est retournés dans notre lecture. C'est là que réside l'étrangeté, dans ces spots qu'elle allume, ces focales qu'elle place telle une peintre qui dessine patiemment un détail, puis rire un trait et file ailleurs.

2 - Les personnages apparaissent puis disparaissent. Mais on reste attaché à eux (grâce au regard porté de la narratrice, Farida).

Ils sont très prégnants.

Et du père naissent de nouveaux personnages, de sa disparition viennent des doubles , drôles, inquiétants ou tristes, Yanis ou Soltan

Un peu des fantômes du père mais sans les responsabilités, des gens perdus qui réagissent à leur manière dans la France des années 90

Puis une sœur de Farida, Mouni.

C'est elle qui nous fait faire la traversée avec Farida jusqu'à la deuxième partie du livre.

Puis qui disparaît violemment.

Mouni représente bien la seconde partie en disparaissant tragiquement dedans.

3 - La disparition des personnages.

Au début il y a une épaisseur, une lenteur dans l'action même, qui est de moins en moins tenable au fur et à mesure de l'écriture ; les derniers personnages représentent ça. Ils apparaissent en coup de vent, disparaissent d'un trait de plume (Caroline de Sav, Doumé d'Endoume).

En fait, les personnages ont de moins en moins de place, ils rétrécissent au fur et à mesure que le personnage principal soit à sa vie. Elle en a fini avec son job de narratrice, c'est sa vie qui apparaît en fait, jusqu'à rouler même le lecteur.

"La vie, c'est un peu la séquence du spectateur".

                                                      Hedi Cherchour.

Le lecteur est piégé, déposé sur le chemin pour qu'elle poursuivre son destin, son "mektoub", comme elle le dit souvent au début du roman, en parlant de son père ; comme si en fait cette fin était une dernière farce faite à la fiction.

Les personnages taillent la route carrément.

C'était pas un roman, c'était une série télé et la fin toute pimpante c'est sur un offshore rouge, super visible, qu'on voit partir tout ce beau monde. Il "n'y a plus d'obstacle", dit encore Farida. "Pas de mur en mer", vous vous êtes toutes et tous faits berner les gens ! L'esprit de Yanis le flambeur est plus que jamais présent, sa trace comme une nappe de gazoil sur toute la Méditerranée d'aujourd'hui.

Il a floué tout le monde le livre. Mais en même temps, ça réussit un doublé avec le fait que ça se passe plutôt bien. La fin est bien, c'est une belle fin, presqu'un conte de fée, parce qu'il faut que ça se passe bien, comme une peau qu'on a fini par retirer. Une peau crasseuse dont on se débarrasse enfin dans la mer, pour vivre d'autres aventures. La honte est presque partie. Elle est partie grâce a la mort (Farida au terme du voyage ferme les yeux, ce n'est pas pour rien que c'est dit! Elle ferme les yeux et dit : "on va peut-être tous crever, il n'y aura plus d'histoire,..." c'est-à-dire il n'y aura plus d'emmerdes.

Fin de l'écriture.